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Quand commence le voyage au pays de la déraison...

 

C'est une expérience qui, au départ, s'était révélée traumatisante pour lui, que raconte l'auteur évoquant le souvenir qu'il gardait de ce premier repas pris au milieu de gens grimaçants et maniérés. Un drôle de voyage et un ouvrage pour le moins captivant, surtout sur un univers méconnu comme celui de la Psychiatrie !

Extraits : Ma présence ayant été jugée indispensable au réfectoire - contre toute attente il y en avait un dans l'endroit où j'avais échoué - je fus rapidement convié à quitter ce qu'ils appelaient une chambre pour y prendre mon premier repas. Pourtant, si cela n'avait tenu qu'à moi, je serais volontiers resté dans ma nouvelle carrée pour dîner, car avoir à se retrouver à table avec des fous et supporter une quantité de regards absents, ne me paraissaient guère emballants. Sans repenser aux drôles de coucous de Milos Forman, ni à Billy Bibit et aux autres sans doute avais-je le sentiment d'être en présence de bien plus de marginaux de la bimbeloterie que de gens soignés pour dépression. Et le fait de les savoir en liberté, même surveillée, d'avoir à les affronter et, parfois même, d'avoir à contenir leurs débordements, je dois avouer que cela m'inquiétait.

J'eus beaucoup de mal à avaler ce second repas, bien plus que je n'en n'avais eu à avaler celui du midi que j'avais pu prendre dans ce qu'ils appelaient une chambre. Privé de mes lunettes de myope, j'imaginais le regard des fous braqué sur moi, l'intrus, le nouveau, celui qui dérangeait, les rires gras et sarcastiques de certains d'entre eux, leur comportement dérangeant... Je pris place à une table où chacun devait avoir la sienne, vraisemblablement imposée par un règlement, certainement des plus discutables, face à une jeune femme à la chevelure décolorée et au visage poupin à la peau grasse, assez potelée, qui n'arrêtait pas de grogner. Peu satisfaite de son sort, elle semblait confrontée à de sérieux problèmes d'élocution. Comme si elle avait un peu bu, elle avait toutes les peines du monde à dire correctement ce qu'elle avait à dire :

- Dis Marc, tu m'donnes ta pomme, hein, et j'te donne mon fromage, hein Marc, dis, Marc...

Le Marc en question, à ma droite, le visage émacié et l'air renfrogné, s'exécuta d'un geste de mauvaise humeur, presque comme un automate. A gauche, mon autre voisin aux yeux globuleux, que de grosses lunettes rendaient encore plus effrayant, trouva que je n'étais pas assez bavard et se présenta. Mais, après tout, puisque cela se fait entre gens bien élevés...

- Bonjour, mon nom c'est Eddie et vous, c'est comment ?

- Louis, répondis-je, presque aussi coincé que ma glotte au fond de la gorge.

VOYAGE AU PAYS DE LA DERAISON, Louis PETRIAC, ISBN n° 978-2-952411-7-07