Malins les nazis qui, s'ils avaient de funestes projets, s'étaient donné le mot pour au départ rassurer sans les effrayer tous les jeunes requis au STO qu'ils avaient invité à collaborer pour le grand Reich ! Le pauvre Gabriel BOULOGNE en fera partie et il suffit de lire ses premières lettres adressées aux siens en France du Pays des Sudètes Tchèques pour le comprendre. Ainsi, le 26 juin 1943 indiquait-il fabriquer des objets en bakélite et concevoir des assiettes jaunes ou rouges où l'on servait des gâteaux. Avant qu'en décembre 1943, il reconnaisse cependant être désormais employé à de la fabrication d'armes et à des percuteurs d'obus en bakélite. Ah, la bakélite ! Son petit-fils Cédric, auteur de cet ouvrage hommage à son grand-père, n'a pas réussi à retrouver toutes les lettres de Gabriel et, on comprendra pourquoi, notamment celles où il avait dû tenter d'y raconter quelles étaient réellement ses fonctions aux ateliers du STO et ce qu'il faisait d'autre de cette bakélite. D'ailleurs, à partir du 15 janvier 1944 le courrier libre sera terminé, c'est dire si la censure était libre d'intervenir. Et il en sera de même des lettres postérieures à juin 1944 au moment de la déconfiture progressive des nazis sur l'ensemble des champs de bataille.
Mais l'exploitation de la bakélite est aujourd'hui mieux connue et c'est un autre requis STO, du nom de François CAVANNA, plus célèbre que ne l'était Gabriel BOULOGNE, qui en parlera le mieux à son retour dans un ouvrage intitulé Les Russkofs évoquant ce qui se passait dans les ateliers où travaillaient des requis STO et quelques autres déportés. Notamment ces espèces de marteaux pilons qui montaient et descendaient dans un bruit d'enfer avec à leur extrémité une sorte de butoir en fer qui s'enfonçait dans un trou en y laissant un espace où il fallait glisser des galettes d'acier qui devaient constituer l'élément de base d'une fusée d'obus, paroi intérieure d'un assemblage de ferraille et de bakélite. Il fallait faire vite, dira François CAVANNA et disposer les galettes d'acier avant que le butoir redégringole en faisant un bruit d'enfer en chopant au passage un morceau de la main du prestataire qui n'avait pas été assez rapide. A l'évidence, dans une situation analogue le pauvre Gabriel BOULOGNE a dû vivre un STO cauchemardesque avec sans doute, pour lui aussi, l'obligation de réaliser des objectifs de production quotidiens parfois difficiles à atteindre. Mais il n'en parlera jamais, pas aussi bavard que l'était ce CAVANNA qui sera ensuite connu grâce à des ouvrages comme Les Ritals, ou comme ce journal bête et méchant qu'était Hara Kiri voire pour quelques autres gracieusetés similaires.
LETTRES D'UN DAMNE AU COEUR DE LA MACHINE NAZIE, Cédric BOULOGNE, ISBN n° 978-2-918296-61-4